PROLOGUE

Retrouvez toutes les nouvelles dans un recueil au format papier sur tous les stands de Célia, en salons et dédicaces.

LIVRET : 5€

Photos de Matthew Pearce

LES OMBRES

Je ne suis que l’ombre de moi-même.

Pour beaucoup, c’est une expression. Des chanteurs n’en peuvent plus d’en faire des refrains. Des poètes l’ont psalmodié comme autant de prières.

Moi, c’est vrai.

C’est littéral.

Je connais le sujet par coeur.

D’ailleurs, mes ombres me connaissent. Et si elles ne me connaissent pas, elles ont tôt fait de se présenter.

J’entends Éva qui hurle.

Elles l’ont trouvée.

Je voudrais hurler avec elle, exorciser ma terreur. Je dois faire vite. Plus vite. Me concentrer.

J’ai tout juste douze ans la première fois. Comme tous les enfants, j’aime jouer avec le soleil et ces longues langues noires intangibles qu’il projette par-delà les formes. Elles sont inoffensives ces ombres. Elles me fascinent. Un jeu. Un monde parallèle qui n’existerait qu’en deux dimensions. Tout un univers secret qui se superposerait au nôtre et qui disparaîtrait avec l’astre diurne.

Sauf qu’il ne disparaît pas.

Il s’estompe, il glisse hors de notre portée, se fond dans le sol, les murs, en nous, et attend son heure. Alors, la nuit, il ressurgit, et tout se mélange. L’animé et l’immobile, la surface et la profondeur, l’existant et l’oublié, le vivant et le mort. Les ombres s’épaississent et, à la faveur des ténèbres, s’arrogent une troisième dimension.

J’ai douze ans.

J’ai peur du noir.

Je ne comprends pas à quel point c’est justifié, mais je le ressens au fond de mon âme de petite fille, comme une ritournelle dissonante qui fait battre mon cœur plus vite.

Cette nuit-là, ce que mes yeux voient dans l’obscurité de ma chambre n’est pas dû à mon imagination. Ces formes terribles qui se meuvent à la lisière de mon champ de vision, ces griffes acérées aussi noires que de l’encre, ces bouches qui s’ouvrent sur des abysses plus insondables… elles sont pour moi. Elles m’espèrent. Elles m’appellent, même si je ne les entends pas encore.

Mes parents affolés par mes cris ont fini par accepter que je laisse la lumière allumée.

Pendant dix jours, je ne parviens à m’endormir que lorsque ma lampe de chevet veille sur mon sommeil.

C’est une malédiction. Une bénédiction peut-être. Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu’il en est, je ne sais pas qu’en faire.

Quand je crois être arrivée au bout de mes forces, au bout de ce que je peux supporter, ma tante me révèle ce secret familial dont elle porte elle-même le fardeau. Elle a compris ce qu’il se passe. Je ne me sens plus seule lorsqu’elle partage sa propre expérience. D’une voix calme et mélancolique, elle me raconte cet héritage qu’elle a appris à dompter. Il ne doit pas m’effrayer. Il ne m’empêchera pas d’avoir une vie. Je suis différente, c’est tout. Comme elle. Elle m’enseigne à conjurer ces ombres qui envahissent mes nuits, à les distinguer entre elles. Toutes ne sont pas noires et terrifiantes. Bien au contraire. La plupart sont bienveillantes. Elles ont leur propre destinée. Je ne suis qu’une distraction pour elles.

Ma tante me montre.

Les ombres se confondent le jour et se dissocient la nuit. Mon ombre, la leur. Mon ombre et celle de mes parents, de mes amis, de mes rencontres. Mon ombre et celles qui n’appartiennent plus à personne.

« Évite les endroits où celles-ci errent », me dit-elle. « Ne leur donne pas l’occasion de se lier à toi ». Je comprends que mon propre reflet obscur ne m’a jamais quittée et qu’il me garde comme ma petite lampe. J’entends leurs appels maintenant. Des invites. À jouer, à découvrir, à explorer, à combler ce temps infini dont elles ne parviennent pas à se défaire. Les ombres demeurent quand tout s’éteint.

J’ai douze ans.

Je n’ai plus peur.

Je prends soin de mon ombre et des lieux que je traverse. Je ne vais pas où elles divaguent. Pas d’hôpitaux, pas de vieilles bâtisses. Pas de cimetières.

La lumière de mon portable vacille.

(La suite dans « Prologue »)

ROMANS ET AUTRES MONDES

Suivez les aventures de Célia, page à page.

Couverture Flux les Enfants de Joans : une jeune fille blonde avec un masque de peintures très colorées
Couverture Flux Nous Sommes Demain : une jeune fille noire avec une capuche et un masque de peintures très colorées
Couverture Flux, la Duologie : deux visages de jeunes filles aux masques de peintures très colorées sont scindés en deux pour ne former qu'un.
Couverture DAM', illustration d'une forêt d'arbres morts en gris et noir, représentation effrayante avec des cranes pendusCouverture DAM', illustration d'une forêt d'arbres morts en gris et noir, représentation effrayante avec des cranes pendus
Couverture illustrant quatre nouvelles de Célia Barreyre avec quatre photos en noir et blanc